La prière, un chemin
Les mots de la spiritualité
par Enzo Bianchi
Si la prière est l'entretien entre Dieu et l'homme, elle est la voie qui ouvre l'homme à la communion, avec Dieu et avec les autres hommes
«L'œuvre la plus difficile est la prière.» Combien de jeunes moines ont reçu cette réponse de la part de l'ancien, de l'abba, qu'ils avaient interrogé... Et la difficulté demeure, à travers le temps, même si elle prend des connotations différentes. Chaque génération, et tout homme de chaque génération, a la tâche de recueillir l'héritage de prière qui lui est confié et la responsabilité de la redéfinir. Et de la redéfinir en la vivant! On comprend difficilement aujourd'hui la définition de la prière qui a traversé tant l'Orient que l'Occident et qui en a fait une «élévation de l'âme à Dieu». Après Auschwitz, on s'est posé la question de la possibilité même de la prière. Mais pour y répondre, je crois qu'on ne doit pas se limiter à remplacer le titre de «Tout-Puissant», que l'on a donné depuis toujours à Dieu, par celui d'«Impuissant» (il en est qui parlent de la «toute-faiblesse» de Dieu). A mon sens, on reste toujours, de cette manière, à l'intérieur d'une logique de théodicée. En prenant au sérieux, en revanche, le fait que de nombreuses personnes sont mortes en priant, à Auschwitz aussi, comme dans tant d'autres enfers terrestres, je pense qu'il est possible de comprendre la prière comme un chemin du croyant vers son Dieu. Ou mieux, comme la conscience d'un tel chemin. La prière chrétienne apparaît ainsi comme l'espace de purification des images de Dieu. Donc comme la lutte laborieuse et quotidienne pour se défaire des images manufacturée du divin et aller vers le Dieu révélé dans le Christ crucifié et ressuscité, vraie image de Dieu remise à l'humanité.
Si la prière est l'entretien entre Dieu et l'homme, fait d'écoute de la Parole divine contenue dans les Écritures et de réponse humaine (réponse qui implique aussi responsabilité), alors elle est la voie qui ouvre l'homme à la dimension de la communion, avec Dieu et avec les autres hommes. Elle devient ainsi adaptation de l'homme à l'environnement divin, vie devant Dieu et avec Dieu, relation avec Dieu. Dans la prière, le cœur, c'est-à-dire le centre de la personne, se concentre sur Celui qui parle, qui l'appelle, et il se décentre ainsi de soi pour entrer dans le mouvement de l'«extase», la sortie de soi pour connaître et rencontrer le Seigneur. La prière advient de cette manière: comme un itinéraire constant et interminable du croyant vers son Dieu, un Dieu dont la connaissance n'est jamais déjà donnée, mais «devient», dans une histoire, dans une vie. Et elle n'est jamais non plus pleinement réalisée: la prière en effet est recherche du visage de Dieu, recherche incessante et obstinée de la part de celui qui a été vaincu par une Présence, même s'il ne saura peut-être jamais pleinement rendre raison, traduire verbalement l'expérience ineffable qu'il a vécue, qui l'a marqué et a fait de lui un croyant.
La prière, alors, c'est la conscience de la vie chrétienne comme chemin vers Dieu. Un Dieu qui est invisible et silencieux, mais dont l'invisibilité et le silence sont ceux du Père: il n'est pas l'absent, mais le Présent, qui voile sa présence derrière le silence et en se cachant; il est le Père qui fait de sa présence, grâce à son retrait et à son silence, un appel, une vocation. Ainsi, la prière, cette forme de communication avec Celui que l'on ne voit pas et qui reste silencieux, peut répondre à cet appel en libérant la liberté de l'homme, son expression, en amenant celui qui prie à la connaissance de soi, tandis qu'elle le guide à la recherche de Dieu. La prière de l'homme à Dieu est la réponse à la prière que Dieu adresse à l'homme. Dans ce dialogue, tout l'homme est immergé: l'homme est attente, question, désir, relation... et la prière connaît ses multiples modulations: remerciement, invocation, intercession, demande...
La «norme» de la prière chrétienne est la prière de Jésus, le Fils de Dieu: sa prière connaît aussi le non-exhaucement au moment crucial de Gethsémani, quand Jésus demande au Père que «passe loin de lui cette heure» tragique, que puisse lui être épargné le calice de l'amertume, mais qu'il remet tout à l'accomplissement de la volonté de Dieu, et non de la sienne. La prière n'est pas la sublimation du désir humain, la demande que Dieu accomplisse notre volonté, mais le chemin à travers lequel se produit la reconnaissance et l'acceptation de la volonté de Dieu. Il s'y produit une connaissance toujours meilleure de Dieu et la conséquente adaptation de la relation à cette connaissance. L'expérience montre que la prière change, dans une même personne, au cours des années. Ce n'est qu'ainsi qu'elle est une vraie relation avec Dieu, une relation qui reste vive, qui ne s'atrophie pas. La finalité de ce chemin et de cette relation, c'est de rendre la vie personnelle conforme à l'image de Dieu qu'est Jésus le Christ.
Tiré de ENZO BIANCHI, Les mots de la vie intérieure , Paris, Cerf, 2000.